« CAPTATION DU MONDE VIVANT | LE SAUVAGE FRAGILISÉ »
J'ai réalisé un stage de séjour éco-volontariat de trois semaines au Centre Régional de Sauvegarde de la faune Sauvage de la LPO Hérault de Villeveyrac. L'objectif premier de ce centre consiste à soigner la faune sauvage en détresse dans le but de relâcher les animaux dans la nature sans dépendance à l'Homme.
J’y étais dans une optique d’observer, de collecter, d’assembler, d’inventorier sous forme de photographies et de récits, les gestes de soins et les autres tâches quotidiennes à accomplir au centre avec tous les questionnements qui peuvent en émerger.
Villeveyrac, France • Du 2 au 23 juillet 2018
Depuis son ouverture, en Juin 2012, le centre accueille entre 1700 et 2000 pensionnaires dont environ 90% d'oiseaux en détresse et 10% de petits mammifères. Les causes d'arrivées sont assez diverses - dénichage, prédation, choc véhicule, collision vitre, botulisme, détention, chasse - et la moitié des animaux retrouvent le milieu naturel.

J-0 | PRÉPARATIFS & QUESTIONNEMENTS

J-1 | DANS LE BUS 23 & DÉCOUVERTE DES INFRASTRUCTURES
Ça y est, je suis arrivée.
Sète est au loin. Le trajet est toujours délicieux parce que magnifique. L’étang de Thau et ces parcs à huîtres, les vignes et les petits villages s’effilent. Il fait chaud, le soleil est assoiffant, voir pompeux. C’est Julie qui vient me récupérer à la mairie du village.
Elle respire la vie ! Elle m’explique brièvement les infrastructures et me laisse découvrir le centre.
Ô mais que je suis impressionnée !



J-2 | PREMIERS POUSSINS DÉCOUPÉS ET PLUMÉS (les poussins sont reçu congelé)
- Et toi découper des poussins ça te dérange ? - Eeuh, non non, il faut seulement m'expliquer comment faire. – Avec des ciseaux, tu coupes les pattes de derrières et les ailes. Ensuite, tu le prends par le cou et tu tires vers le bas pour lui enlever les plumes, tu vas voir ça se fait tout seul ! Ensuite, tu lui coupes la poche de jaune qu’il a proche de son troufion car sinon ça explose sur la tête des oiseaux lorsqu’ils mangent et ils détestent se salir, en plus, ce n’est pas nourrissant. Pour finir, tu le découpes en petits morceaux mais fait attention aux yeux, ils peuvent exploser aussi !
– Oké, ouainnn !



[ INTERLUDE ]
J-3 | PRÉPARATION DES GAMELLES
La préparation des gamelles se fait en grande partie le matin, excepté pour les nocturnes et certains oiseaux & mammifères qui eux nécessitent des ajouts au courant de la journée. J’ai l’impression d’être revenu 6 ans en arrière au temps où je bossais en cuisine. Avec toutes ces couleurs, textures, formes et présentations soignées ! Bon, je pousse un peu mais c’est étonnamment très important car certains clients n'aiment pas que leurs aliments soient mélangé. Et ils ont presque tous leurs petites préférences ou leurs manières de se comporter quand vient le temps de se nourrir.


J-4 | JOUR DE REPOS | RÉFLEXION
Vivre le sauvage m’est une situation complètement déstabilisante. Je n’y comprends absolument rien. Je ne sais pas comment faire, je ne sais pas comment agir. Je réalise que je suis confrontée à un univers qui m’était jusque-là connu qu’à travers les livres, la télévision, internet ou à l’intérieur d’un paysage, au loin, à l’extérieur de moi. La proximité du sauvage, l’obligation à le toucher, à l’attraper, à le nourrir, à le déplacer, à le soigner, à le libérer, me dépasse, me déroute profondément.

J-5 | JOUR DE REPOS
Sur les rives de l'Hérault avec trois tortues Trachemys scripta « Floride » qui finiront au C.E.P.E.C. - Centre d’Études de Protection et d’Élevage des Chéloniens - et avec des gens sympa aussi !
Il y en a qui son fan de foot,
et il y en a qui son fan de tortues !


J-6 | ALERTE CHEZ LES ÉTOURNEAUX SANSONNET
Ce matin, je me suis occupée des jolies volières en extérieurs dont les habitants sont des juvéniles qui se nourrissent maintenant seuls et qui sont sur le point d’être relâché. Ma tâche était de nettoyer les petits plats, de les remplir de nourriture et de déposer des feuilles de papier journal propres au fond de chacune d’elles. Chez les étourneaux, il y avait beaucoup de monde, c’était quasi une ambiance citadine avec tout plein de bruits, de roues, de moteurs, de klaxons. De trafic.
En après-midi, ce fut le moment des ajouts d'aliments spécifiques. Il y avait donc quelques aliments à ajouter, changer l’eau et s’assurer que tout allait bien. Les étourneaux avaient déjà tout mangé, tout était à sec. Plus de vers de farine vivants et séchés, plus de pâté à insecte et plus de cerises, ils en sont si friands ! Je me suis empressée d’ajouter, dans ce cas-ci, des vers de farine séchés et de l’eau. Je n’avais pas fini de remettre le petit plat d’eau que les oiseaux commençaient déjà à boire. Je les trouvais bien énervés moi ces petits. J'ai continué les ajouts des autres volières et décidé de vérifier à nouveau les étourneaux. Au secours ! Il y en avait un sur le dos, tout mouillé, qui n'allait pas bien du tout, du tout. Il était un peu tordu et ne bougeait presque plus. Je suis vite aller alerter la responsable du centre. Elle m'a dit de le prendre, de l’enrouler dans une serviette manière de le sécher et de le placer dans une boîte pour qu’il se repose.
Je ne l’ai jamais revu.
J'ai appris à mon grand désarroi que ce sont des oiseaux extrêmement fragiles.

J-7 | CHOUCAS DES TOURS RÉCLAMANT SON REPAS

[ interlude ]
J'ai un faible pour la famille des Corvidés !
J-8 | LE GRAND-DUC D’EUROPE
Lorsque je rentre dans la volière du Grand-duc, je ne vois que du orangé. Deux gros ronds orangés qui me dévisagent, qui me scrutent, qui me jugent presque. À ce moment-là, tout s’arrête. Plus rien n’existe autour de moi, ni son, ni image. Comme hypnotisée, je ne vois plus que ces deux gros ronds orangés. Il y a lui et il y a moi. C’est vivre une confrontation avec le plus grand nocturne d’Europe, avec un superprédateur roi de la nuit. Je dois aller tout un fond de sa volière lui apporter sa gamelle de huit poussins entiers. Il gonfle nerveusement ses plumes, bat ses paupières de manière saccadée et émet un son sec et précis. Nous nous guettons. Nous guettons nos arrières.

J-9 | FAUCON CRÉCERELLETTE & CRÉCERELLE
Un Faucon crécerellette oisillon qui m’ordonne impatiemment de lui expédier sa gamelle.
Et son voisin, un Faucon crécerelle juvénile qui attend stoïquement la sienne pour mieux me pincer les doigts.
J-10 | BUSE VARIABLE AFFAIBLIE
Je suis enfin à l’aise, du moins un peu, pour capturer à l’épuisette un oiseau imposant, de l’enrouler dans une serviette façon « sushi » pour soit le peser ou le nourrir.
… L’autre jour lorsque nous sommes allées nourrir cette Buse variable - je crois qu'elle n’arrive pas à se nourrir par elle-même, sinon que très peu - nous avons remarqué qu’elle avait une petite plaie sur le haut de chacune de ces ailes. La responsable du centre, une personne de qualité exceptionnelle, croit que ses plaies sont le signe d’une sortie d’électricité qui était dans le corps de l’oiseau dû à une électrocution (électrisation). Il paraît qu’il peut y avoir un délai de quelques jours avant que l’électricité ressort du corps. Ceci expliquerait le fait qu’elle est affaiblie et se laisse capturer sans trop de résistance. De l'aluminium en spray lui a été administré. C’est un puissant cicatrisant, le produit forme une pellicule antiseptique isolant la plaie des germes extérieurs. En souhaitant de tout coeur son rétablissement.

J-11 | JOUR DE REPOS
... Était en direct pour une conférence sur WEBINAR DROITS DE LA NATURE !

J-12 | JOUR DE REPOS
... BONNE NOUVELLE ...
Le grand-duc d'Europe est prêt à être libéré !
J-13 | LA MOUETTE
La Mouette qui est présentement au centre est l’une de mes chouchous et contrairement à ce qu’on pourrait croire, je ne suis pas la seule ! Elle est têtue, imprévisible mais avec une certaine docilité – faut dire qu’elle n’a pas vraiment le choix – elle est rigolote. Je dois même avouer que je me suis surprise à me préoccuper de son état de santé durant mes jours de repos. Elle ne mange que par gavage et ne fait que perdre du poids. Heureusement, son aile va mieux, son bandage est maintenant enlevé. Elle avait une plaie en dessous de son aile lorsque nous l’avons reçu. Il est fascinant de constater que bien que les oiseaux ont des comportements qui se ressemblent, chaque oiseau à sa propre individualité. Je crois que l’observation du comportement animal est l’une des plus grandes joie qui puisse exister.



J-14 | CHEVÊCHE D’ATHÉNA – CHOUETTE
L’été, les braves gens ont tendance à faire prendre l’air à leur bac à friture. Et il arrive quoi pensez-vous ? Et bien, il y a par exemple des oiseaux qui tombent dedans. Un peu comme les deux chouettes juvéniles que nous avons reçues l’autre jour. Donc si vous êtes du genre à rafraîchir votre vieille huile à frire, pensez au moins à mettre une grille sur le dessus du bac. Les oiseaux vous remercie par avance.
J-15 | GOUACHE ON HEDGEHOG
ou identification d'hérisson.

J-16 | UNE CHOUETTE RELACHÉE !
Ça c'est un puissant symbole de liberté !

J-17 | L’ÉTONNANT MARTINET NOIR
Au centre, les Martinets nécessitent beaucoup d’attention. Tout d’abord, parce qu’ils sont nombreux - environ cent - parce que nous devons les nourrir quatre fois par jour et qu’ils ne sont pas très coopératifs - ils recrachent souvent. Du coup, ça nous rend pas très très content.e.s !
Mais, j’ai appris à les aimer.
J'ai appris à les connaître.
Ils ne sont pas trop trop coopératifs car pour eux, c’est contre-nature de se nourrir en restant dans un état immobile. Ils se nourrissent plutôt en volant, en gobant le plancton aérien.
« Ces oiseaux sont physiologiquement et énergétiquement taillés pour rester en vol sans se poser pendant de très longues périodes, plusieurs mois par exemple. Ainsi, un Martinet noir adulte peut théoriquement rester en vol permanent du mois d'août d'une année à avril de l'année suivante, soit d'une période de reproduction à l'autre, ce qui est simplement phénoménal. Le repos nécessaire serait pris lors de vols planés en altitude la nuit. Autre capacité extraordinaire de cet oiseau, sa faculté de « dormir » en vol sans avoir à se poser. On peut observer facilement soi-même le début du phénomène au soir des belles journées d'été. On voit les bandes bruyantes de martinets s'élever progressivement dans le ciel à la tombée de la nuit jusqu'à les perdre de vue et de l'oreille. Les études, grâce au radar entre autre, ont montré que ces oiseaux restaient à haute altitude, jusqu'à 2 000m, toute la nuit et redescendaient le matin. On pense qu'ils doivent « dormir » en planant dans les courants d'air chaud ascendants. De plus, lors des poursuites effrénées, fréquentes chez cette espèce, on a même parlé de vitesses approchant les 200 km/h mais sur un court laps de temps. »




J-18 | JOUR DE REPOS
Visionnement du documentaire « Demain »
J-19 | JOUR DE REPOS – RÉFLEXION
Tiré du magazine « artpress 2 – l’animal notre histoire » au sens de Philippe Descola, anthropologue de la nature. Seules les civilisations qui ont surdomestiqué l’animal, c’est-à-dire qui l’ont transformé et théorisé comme « bête et bestial », ont ressenti le besoin philosophique urgent d’une différenciation radicale entre l’animal et l’animal humain. Les sociétés maintenues au contact de l’animal sauvage parlent plutôt de sa perfection sans modèle, sa grâce, de proximités et parentés. Par sélection artificielle nous avons inventé la « bête », l’animal contrôlé, amoindri, dépendant. Puisque c’était l’échantillon le plus présent à observer dans notre quotidien, nous l’avons érigé en modèle de l’animal. Et c’est de lui que nous avons voulu nous séparer ontologiquement, inventant un vecteur d’élévation vieux de dix mille ans, et le mépris de l’animalité en soi.
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Je rajoute cette phrase que j’aime bien : La proximité avec le singe s’accompagne d’une angoisse de déchoir, par laquelle l’animalité de l’humain se trouve rechargée de tout le mépris victorien pour le non-civilisé.
J-20 | LE CIRCAÈTE JEAN-LE-BLANC
Ou «Short-toed Snake Eagle»
Avec ses doigts courts, il se nourrit essentiellement de serpents.
Ses yeux sont magnifiquement perçants
et son bec, fort comme des serres.
J’ai tenté de le nourrir mais il n’arrive pas à déglutir correctement.
Il faut le gaver ... pas trop à l’aise … eee …
… Amaliaaaa t’es-où ?


J-21 [ avant dernier jour ] HÉRISSON
C'est mon p’tit favori !
Toujours en train de fouiner et de foutre le bordel dans son box.
Ici, il a été déposé dans un carton attitude aventurier-piétineur de Blédine en mode action GR !

J-22 | DERNIER JOUR
J'ai que ces paroles de Richard Desjardins en coeur & en tête pour raconter :
« Ce n'était qu'un orage
ce n'était qu'une cage
tu reprendras ta course
tu iras à la source
tu boiras tout le ciel
ouvre tes ailes
Liberté Liberté
Liberté »


